Projet Crisalys (Adan)

Projet, nom masculin (de projeter) : Le mot projet, très présent dans le vocabulaire de la vie courante, désigne dans les laboratoires une activité menant à une réalisation objective précise, pour laquelle sont mis en jeu les biens communs des organismes, leurs ressources humaines et matérielles. (MAPI)

Projet Crisalys.
Journal d'observation du sujet Adan.09. Classification de niveau 7.
N.B : Lecture du dossier du sujet avec l'accréditation de niveau 4. Les données de niveaux supérieurs n'apparaitrons pas.


An 0. Jour 7.
Les cellules réagissent bien. Aucune dégénérescence à noter.

An 0. Mois 4.
Naissance du sujet Adan.09. Il semble en bonne santé, ses réflexes sont bons. Les battements de cœur sont normaux, tout comme la respiration.

An 5. Mois 8.
Le sujet Adan.09 est le seul sujet à avoir survécu jusqu’ici. Nous n’avons pas d’explication à sa survie. La tentative de reproduction à l’identique s’est soldée par un échec. Peut-être y a-t-il un lien avec les éléments du sujet paternel infecté d’origine ?

An 11. Mois 3.
Le sujet Adan.09 est vif et intelligent. Il ressemble à un enfant normal, mais ses cellules semblent à nouveau muter, sans explication.

An 16. Mois 5.
Le sujet Adan.09 montre des signes de rébellion concernant sa situation. Nous avons dû recourir à un dosage d’anesthésiques plus puissant que pour un humain lambda. Son corps synthétise plus vite.

An 18. Mois 4.
Règle bioéthique respectée.
Premier prélèvement de patrimoine biologique reproducteur du sujet, pour une tentative de fécondation in-vitro. Échec.

An 20. Mois 12. Jour 6.
Le sujet Adan.09 s’est échappé. Protocole de récupération déclenché.

An 20. Mois 12. Jour 8.
Sujet récupéré et rapatrié au laboratoire.
Mise en isolement pour 10 jours.
Mesures disciplinaires en conséquence à son acte pour dissuader le sujet de recommencer.

An 26. Mois 1. Jour 8. 17h45
Sujet décédé.

An 26. Mois 1. Jour 8. 17h48
Sujet revenu seul à la vie. Régénération cellulaire visible.
Pas d’explication.

An 26. Mois 1. Jour 13.
Culture de cellules après nouvelle mutation en réponse au nouveau variant du virus.

An 27. Mois 9. Jour 9.
Évasion du sujet Adan.09.

An 27. Mois 9. Jour 15.
Sujet introuvable.
Aide extérieure ?

Le monde est en train de crever.

Article rédigé par Oscar Lirme.

Vous savez, toutes ces séries et ces films qui parlent de fin du monde, et bien, elles n’ont jamais eu vraiment tort. Peut-être pour préparer les esprits du monde entier de cette fin vers laquelle le destin ne cesse de nous précipiter.

La contamination, mes amis.
La contamination s’est infiltrée sournoisement, et les autorités veillent à ce que personne n’apprenne l’impensable vérité : bientôt, nous n'existeront plus. J’ai moi-même été infecté, et je sens cette abjecte poison grandir en moi comme une gangrène à la finalité de laquelle, je perdrai ma conscience.

Raison pour laquelle je n’ai plus rien à perdre à vous dévoiler l’abominable vérité, sans craindre de conséquences. Il faut bien qu’on vous prévienne, avant que la fin du monde frappe à votre porte. Car elle viendra, sous la forme d’infectés dont je ferai bientôt partie. La mutation est détestable, douloureuse, et englue votre cerveau comme si un pot de mélasse y avait été versé. C’est une mal…

#404 Page introuvable.

An 27. Mois 11. Jour 3.
Mise en cause du docteur Shavton.
Toujours aucune trace du sujet.

An 27. Mois 11. Jour 4.
…

Fœtus conçu à partir d'un ovule et d'un spermatozoïde choisis au sein d'une fécondation in vitro, il s'est développé dans un liquide amniotique de synthèse, et est né 4 mois plus tard. Il était la neuvième tentative du sujet Adan, mais il y en avait eu d'autres encore avant lui. Aucune n'avait survécu ou donné les effets souhaités. Adan.09, ainsi était le nom indiqué sur le bracelet médical à son poignet, suivi du code barre 420509, son corps ayant rejeté tout tatouage ou corps étranger à l'intérieur de son derme ou de sa peau. Adan, c'était un rat de laboratoire, un gamin qui ne s'était jamais appartenu. Il aurait facilement pu être estampillé propriété du laboratoire militaire et des chercheurs qui l'avaient créé.

Il aurait pu être un enfant comme les autres, s'il n'était pas sans cesse sollicité pour des tests, un entrainement, de la lecture, des apprentissages, des examens. Les aiguilles, les prélèvements... à force, le gamin ne grimaçait même plus sous la douleur habituelle. On cherchait à savoir ce que le virus grandissant dans son organisme de manière harmonieuse, allait faire à son corps, comprendre ce dont il hériterait. Mais à l'extérieur du laboratoire, la population restait dans l'ignorance, la moindre mention du virus était systématiquement maquillée, voir supprimée des réseaux sociaux et du web, alors un gamin enfermé dans un laboratoire, vous vous doutez bien que l'information ne devait absolument pas filtrer.

Grandir dans cet univers ne laissait que peu de place à l'enfance. Toujours observé. Toujours étudié. Toujours stimulé. Il avait fini par comprendre les dessins des molécules, reconnaître des éléments de son dossier, saisir ce que chaque examen devait apporter comme réponse. Témoin de la frustration des chercheurs à chaque tentative qui échouait. Il était un petit miracle scientifique, mais ils étaient bien incapables d'en faire quoi que ce soit. Et lorsque l'enfant se montrait récalcitrant, on ne lui laissait pas le choix, assistant à chaque régénération cellulaire avec fascination.

Et plus il grandissait, plus les tests se faisaient invasifs, douloureux. L'intimité, il n'en avait jamais eu. La pudeur, il en était exempt, trop habitué à être observé sous toutes les coutures. Prélèvement de sécrétions. A ses 18 ans, dernière barrière éthique tombant à sa majorité, on exigea plus encore, volontairement... ou on l'y aurait contraint. Autre forme de matériel génétique qu'ils espéraient viables pour leurs expériences, mais l'infertilité d'Adan ne tarda pas à tomber comme un couperet. Il faudrait donc se contenter du sujet pour obtenir d'autres résultats. Besoin de son sang, de ses cellules, de sa peau, de... A ses 20 ans, Adan parvint à s'échapper, en usant de ruse, d'un certain relâchement des protocoles sous son apparente servilité. Vol de puce qui lui permit de s'échapper avec des déchets destinés à être éliminés. Plan parfaitement mené, rodé, il atteint enfin l'extérieur, pu faire ses premiers pas dans un monde dont il ne savait rien en dehors de ses lectures.

Mais il fut rapidement rattrapé, drogué et ramené au laboratoire, présenté au chercheur en chef, le docteur Farinnels. Monstre parmi les monstres, le médecin se dressait de manière implacable lorsqu'il posa les yeux sur lui, comme s'il n'était qu'un insecte s'étant cru plus malin. "Le monde extérieur est hostile pour les êtres comme toi, Adan. Tu es bien mieux ici, crois-moi. Mais... puisque tu as désobéi et tenté de t'échapper de ta maison, je vais être dans l'obligation de te sanctionner. Tu comprends ?" Pas d'attente réelle d'une réponse, un geste de la tête qui indiquait déjà aux hommes qui le tenait de l'amener en zone d'isolement. Petite pièce aussi blanche que la neige la plus pure, sans le moindre meuble, sans le moindre son. Douloureuse captivité se rapprochant de la torture dans les moments d'intervention, la folie guettant son âme déjà prête à se laisser avaler. Cela dura 10 jours, avant qu'on le ramène à son quotidien précédant, et qu'il obtempère à nouveau, acceptant leurs règles devenues plus dures, les traitements et les drogues qu'on lui injectaient pour voir les effets que cela aurait.

Six années, le temps de voir les choses s'intensifier, les recherches se faire plus invasives encore, au point, un jour, de le laisser pour mort sur la table. Le coeur en berne, le sang inerte, la régénération à priori arrêtée. 3 minutes à peine, et tout se remettait en marche, il reprenait vie, poussant son corps à une énième mutation qui figerait ses traits pour une éternité. Capacité d'immortalité qui rappelait ceux d'un héro de vieux comics. Mais personne n'en sut rien. A la place, on tenta à nouveau d'arrêter son coeur pour assister à un retour miraculeux à la vie. Sourires carnassiers aux lèvres scientifiques, l'idée d'Adan de fuir à nouveau si l'occasion se présentait.

Un peu plus d'un an plus tard, ce fut le cas, lors de ce que l'on nommera l'extraction. Des personnes qu'ils ne connaissaient pas l'arrachèrent à son monde, le précipitant ailleurs, sur une terre différente à travers un portail. Une nausée s'empara de lui à peine y mit-il un pied, son coeur se serra douloureusement, comme un symptôme le mettant en garde sur cette nouvelle destination. Un examen bref et rapide, un bracelet violet qui se referma sur son poignet gauche pour remplacer le précédant, une affiche expliquant les différentes couleurs sur laquelle il ne s'arrêta pas vraiment, la survolant rapidement. Puisque déjà, on l'entraînait dans un SAS à la blancheur trop familière. "Tout ira bien, vous êtes sauvé à présent." Un rire presque jaune berça ses lèvres. C'était comme ce que lui disaient les médecins d'avant, qu'il était chez lui, que l'extérieur lui ferait du mal. Que des menteurs. Mais l'air frais lui fit du bien, le cadre avait un air féérique en opposition à son monde aseptisé. Un douche, une nouvelle tenue, un repas chaud dans une cantine... auquel il toucha à peine. Manque d'appétit, manque de cette coopération qui ne va pas jusqu'au bout. Il avait conscience que ces discours de "c'est temporaire", "qu'une mesure de sécurité" derrière leurs sourires figés... ressemblaient beaucoup trop à ceux des scientifiques qui l'avaient gardé emprisonné toute sa vie.

"C'est quoi ici ?" osa-t-il demandé à celui qui tentait de le rassurer. Mais était-il seulement inquiet. Un sourire figé lui répondit dans un premier temps. "Allons-y si vous avez terminé, Adan. Il est tard, et votre venue jusqu'ici a du vous fatiguer." Son nom, il l'avait donné au premier médecin, celui qui lui avait mis le bracelet violet qu'il regarda d'un air mauvais. Mais le ton de son affable guide ne laissait aucun doute sur le fait qu'il ferait mieux d'obéir. Pas de véritable menace, mais l'habitude de ce genre d'attitude ne le trompait pas. Ne connaissant rien à l'endroit où il se trouvait, il obtempéra, suivant son hôte, entendant quelques bruits de couloir parlant d'anomalie, ce qu'il semblait être à leurs yeux. Cela ne le changeait pas vraiment. Ils arrivèrent dans ce dortoir. "Demain, il y aura une petite visite médicale, puis vous aurez un appartement et la possibilité de déambuler dans le dôme, en respectant quelques petites règles."

Il ne lui répondit rien, scrutant vaguement ce qui l'entourait, avant de s'installer sur un lit. Allongé, le regard fixant le plafond sans être certain de parvenir à trouver le sommeil un jour. Il leva son bras gauche, testant la solidité du bracelet violet qui s'y trouvait, bien plus solide que l'ancien à priori. Ses yeux dévièrent, s'attardèrent sur la banderole clamant un "Bienvenue à la maison !" qui lui arracha un nouveau rire jaune. C'est que les scientifiques le prenaient décidément pour un con.

Le lendemain... de petite visite médicale sans conséquence, ce fut toute une batterie de tests en tout genre, de l'aube jusqu'au soir, ce fut aiguilles et machines au bruit agaçant. Il se laissa faire, suivant les consignes par habitude, tout en tentant de questionner les médecins.

Puis...

Ce fut un nouveau monde de possibilités qui s'offrit à Adan. Une cage bien plus grande, plus vaste et diversifiée que la précédente l'attendait. Certes, ce n'était pas une vraie liberté qu'on lui offrait, mais cela y ressemblait bien plus que sa précédente existence. Il pouvait faire ce qu'il voulait, dans la mesure où il respectait les règles, et acceptait de jouer le jeu des expériences occasionnellement. La première chose qu'il fit, ce fut d'apprendre à faire du vélo, et de manger des plats autres que ceux qu'on lui avait servi au laboratoire toute sa vie. Puis il tomba sur la bibliothèque, tombant amoureux de cet antre des livres, où il vint travailler. A 27 ans, il découvrait enfin ce que le mot vivre signifiait, et si sa couleur de bracelet semblait rendre les autres "anomalies" méfiantes, lui, cela ne le dérangeait pas. Peu habitué au monde, n'ayant jamais vécu que dans un cube de 9m² lui servant de chambre, s'émerveillait d'un rien depuis les quelques mois qu'il vivait ici, dans ce nouveau monde qu'il ne voudrait jamais quitter.